La chapelle Saint-Pierre
Montbazin est un site d’habitat privilégié où un castrum médiéval a pris la succession, à douze cents ans de distance, d’un antique oppidum qui surveillait la voie hérakléenne devenue plus tard voie domitienne. La présence celte est suggérée par l’existence d’un souterrain qui part de l’église Saint-Pierre pour aller déboucher dans la plaine qui s’étale au nord de la colline, au niveau de la rivière de la Vène.
L’ancienne église Saint-Pierre de Montbazin
Aujourd’hui connue sous l’appellation de “Chapelle”, elle offre la particularité d’avoir été édifiée en même temps que les murailles et d’avoir été intégrée dans le dispositif défensif de la porte nord, au dessus de laquelle l’abside a été implantée. C’est entre 1113 et 1121 que l’on est passé du castellum/château et de la villa/village ouvert au castrum/village ceint de remparts. Cette fourchette de dates donne une indication précise sur l’époque où l’église a été bâtie, en utilisant le calcaire coquillier de la carrière de Gélargues.
A ce moment-là, elle appartenait aux chanoines de Maguelone, qui l’ont rétrocédée en 1144 à l’évêque Raymond. Elle fut ensuite attribuée au Seigneur de Montpellier, Guilhem IV.
Son architecture et son décor soigné permettent de la dater de la fin du XIIe siècle, avec quelques remaniements aux XIIIe et XIVe siècles.
Mentionnée pour la première fois en 1181 : « Ecclesie Petri de Montebaseno », siège au XIIIe siècle d’un prieuré important, elle était la chapelle des seigneurs du château. Quelques inhumations des membres de la famille seigneuriale ont été pratiquées dans la chapelle, dans le tombeau voûté qui se trouve dans la nef, peu avant le transept.
L’incorporation dans l’enceinte fortifiée explique peut-être le plan trapézoïdal de l’abside que l’on ne rencontre nulle part ailleurs. Le chevet est bâti sur un passage, voûté en berceau, commandant l’accès du castrum au nord. Les sondages archéologiques réalisés en 1994 dans le passage voûté sous le chœur n’ont rencontré aucune trace d’escalier. Sur le sol naturel (une argile bleue) on trouve les traces d’un empierrement grossier.
Cette intégration est à l’origine des contreforts très saillants du transept et de la nef ainsi que des arcs formants mâchicoulis intercalés. Ce souci de la défense n’a pas empêché les préoccupations esthétiques si l’on en juge par la corniche qui court au sommet de l’abside, du mur nord de la nef et du pignon primitif de la façade. Les moellons biseautés s’appuient sur des modillons rectangulaires qui ont été sculptés le long du transept sud. La façade Sud a reçu un système défensif constitué par trois grands arcs formant mâchicoulis, retombant sur les contreforts et une console intermédiaire. Seul le premier subsiste aujourd’hui à l’Est.
A l’intérieur on retrouve le transept languedocien avec absidioles empâtées de l’église Saint-Étienne de Villeneuve et de la cathédrale de Maguelone dont Saint-Pierre de Montbazin est contemporaine. La nef, composée de trois travées, semble avoir conservé sa voûte d’origine en berceau soulagée par de forts doubleaux reposants sur des pilastres.
D’importants travaux furent réalisés au XVIIe siècle : une sacristie a été rajoutée devant le portail roman, qui apparaît comme une construction de grande qualité, soigneusement appareillée. Cette pièce servit de caveau funéraire peu avant la Révolution.
Une porte a été ouverte dans la troisième travée, qui sert désormais d’entrée, mais le départ d’un arc en plein cintre témoigne d’un antécédent roman.
Le passage sous l’abside fût fermé pour sécuriser le village (délibération du 10 août 1678). Il est aujourd’hui ré-ouvert et permet de découvrir la Vène et le jardin méditerranéen.
Le 18 juillet 1712 : décision de construire une porte permettant de monter sur la nef de la chapelle.
Des tribunes ont ensuite été établies au fond de la nef, sur une charpente en bois et desservies par un escalier droit, appuyé contre le mur de fond. Le dossier établi en 1950 en vu du classement de la chapelle les signalait « en très mauvais état » comme le confirme la photo ci-dessus, datée de 1951. Elles ont depuis été retirées.
Sur le mur occidental subsiste la trace d’une litre funéraire, ornementation noire réalisée à l’occasion des funérailles d’une personnalité, dans laquelle on distingue en jaune foncé le blason de la famille De la Vergne, seigneurs de Montbazin du XVe au XVIIIe siècles.
Lors de la révolution, à l’occasion de la vente des biens nationaux, la chapelle mise à prix 4000 livres est vendue 10 600 livres à M. Cabanis de Montpellier.
Deux membres de la confrérie des pénitents blancs, Reynard et Valesque, l’achètent ensuite.
Le 21 septembre 1810, Napoléon autorise l’achat de la chapelle par la commune à MM. Reynard et Valesque, pour la somme de 4500 francs.
La confrérie conserve le droit de s’y réunir pour l’exercice religieux.
Cet usage perdurera jusqu’en 1871.
En 1859 la chapelle est rachetée par Pierre Gleize, pour le compte de la confrérie.
En 1860, lors de la construction de l’église Saint-Jean-Baptiste, les pénitents achètent le mobilier de l’église Saint-Pierre, avec l’accord du Préfet et de l’Évêque.
Au XIXe siècle la façade de la « sacristie » est détruite puis reconstruite pour se conformer à l’alignement des maisons vigneronnes de la rue de la Capelle. Devant la « sacristie », sur la fondation de la façade primitive, un calvaire est installé, visible sur la carte postale ci-dessus, datée de 1910. Ce calvaire n’existe plus.
La chapelle reviendra dans le giron communal en 1909 à l’occasion de la loi de séparation des églises et de l’État.
Le bâtiment servit ensuite de remise municipale, garage communal ou local de réception des bouilleurs de crus et de leurs alambics jusqu’aux années 40.
La chapelle a été classée au titre des monuments historiques le 10 janvier 1964 (le dossier avait été déposé en 1950). Plusieurs campagnes de restauration ont permis à la conservation des Monuments historiques et à la ville de Montbazin d’assurer la mise en valeur du monument.
En 1999 installation des nouveaux vitraux créés par Claude Baillon.
Une pierre d’autel wisigothique du Ve siècle, découverte à Puech Gayès par Jean-Marie Thomas et M. Reverbel en 1961, est installée dans le chœur, sur un chapiteau de style dorique découvert sur le site gallo-romain des Avenasses.
Des vitrines présentent des ossements et silex préhistoriques découverts à Antonègre, divers objets gallo-romains, poteries sigillées, de nombreuses pièces de monnaie… ainsi qu’un cippe, stèle funéraire, dédié à Caius Vetius, et un Fulgur Divom, pierre gravée célébrant la chute de la foudre, découverts sur le terroir de Montbazin.
Aujourd’hui désacralisée, la chapelle accueille des manifestations culturelles, expositions, concerts…
Les fresques
On remarque sur la voûte de l’abside d’importants vestiges de peintures murales romanes, communément qualifiées de “fresques”, découvertes en 1959 par Jean-Marie Thomas. Une vaste composition se déployait à l’origine sur les cinq pans de la voûte. Les douze apôtres (trois par panneaux) y étaient représentés debout, imberbes, nimbés et drapés à l’antique, leurs mains présentant une taille démesurée. Tenant d’une main un rouleau ou un livre, ils semblent désigner de l’autre le Christ Pantocrator (en majesté), inscrit dans une mandorle (ovale) et dont seule la sinopie (dessin avec pigment rouge) est encore visible dans le panneau central. Tous sont de grande taille (1.90 m environ) ; les traits sont vigoureusement dessinés : visages ronds, nez busqués, lèvres charnues, sourcils jointifs sur le front au-dessus d’yeux globuleux. Leurs positions sont différentes, chaque port de tête a une inclinaison différente. Vêtus de longues tuniques et d’amples manteaux dont les plis sont soulignés par des traits noirs, ils se détachent sur un fond blanc, traités dans une palette réduite : ocre jaune, ocre rouge et brun. Côté Nord, les six apôtres sont relativement bien conservés ; côté Sud, un seul subsiste car une partie de ce décor a été détruite au XVe siècle lors de l’ouverture d’une large fenêtre en pénétration dans la voûte sud de l’abside.
Ces “fresques” romanes sont d’autant plus précieuses qu’il s’agit de l’unique exemple, en bas Languedoc, d’une peinture murale dont les couleurs ocre jaunes, bistre et brun ne soient pas totalement délavées. Roger Hyvert a reconnu dans ces personnages les caractéristiques des icônes byzantines. Ce modèle oriental pourrait avoir transité par l’Italie et avoir été peint à Montbazin par un artiste toscan.
Cartulaire des Guilhem, p. 612, 1113 ; p. 172-173, 1121
Cartulaire de Maguelone, ch. LXX, p.142-144, 1144
Rapport proposant le classement de l’ancienne église Saint-Pierre – 1950
« Églises romanes oubliées du bas-Languedoc » Pierre A. Clément, Presses du Languedoc – 1989
« Montbazin » Marc Lugand, ADLFI. Archéologie de la France Informations – 1994
« La peinture romane » de Joseph Pichard. Éditions Rencontre – Lausanne